Parmi tous les défauts qu'Ilkyung peut posséder, lui colle parfaitement à la peau celui de borné. Obstiné dans tout, en bien comme en mal, coiffé d'oeillères pour foncer tout droit vers les mêmes idées dont il ne peut se détourner dès qu'elles lui collent à la rétine - en ce moment, il fonce surtout droit dans le mur, la vision devenue trop étroite pour changer de direction. Ilkyung est borné, oui, trop pour son propre bien, alors, Ilkyung s'obstine à se croire une cause perdue, impossible à rattraper, sous la facade érigée pour sauver les apparences, une ruine qu'on ne pourrait plus reconstruire. Et s'il se trompe, qu'on se garde bien d'essayer de le lui faire constater : il rejettera toute idée allant dans ce sens, trop engoncé dans les débris de ses mauvaises décisions pour prendre du recul. Y'a plus qu'à espérer qu'il finisse par y arriver, avant qu'il ne soit trop tard, quand il aura touché le fond et creusé un peu en-dessous.
Il hausse les épaules aux mots de Myungsoo, à se dire que pour lui, c'est différent, qu'il est cassé depuis trop longtemps, à se demander s'il a pas simplement été fait un peu tordu, héritage peut-être d'un père qu'on ne pourrait que qualifier de bancal. Qui sait. Il se voyait pas comme ça, avant, mais maintenant ? Trop de choses ont changé, sa vision de lui-même en est le constat le plus drastique. "J'sais pas. J'suis content si ça a marché pour toi, mais ça, c'est toi. J'pourrai même pas tout raconter. Et j'sais pas si ça changerait grand chose. J'ai fait mes choix tout seul, c'est à moi de les assumer, même si c'était les mauvais." À se dire que sinon, ce serait trop facile. Prendre seulement les choix positifs, sans vouloir faire face aux conséquences des mauvais. Qu'il a voulu jouer les grands, qu'il a voulu s'engager dans quelque chose qui le dépassait, et que maintenant, c'est à lui de faire avec. Et tant pis, si ça le bouffe un peu plus chaque jour, une part de lui finit par croire qu'il le mérite. Il fuira pas les conséquences de ses actes, pourtant. Ça, c'était plutôt le truc de son père, d'ailleurs.
Et tout revient encore à lui. Après toutes ces années, le temps passe sans panser les vieilles blessures qu'on a jamais apaisées. Le silence est un bien piètre remède - à force de tout ravaler, faut bien que tout vous revienne en pleine face, que le passé vienne foutre le feu au futur, à pas savoir comment stopper l'incendie avant qu'il ne laisse plus rien à sauver. Il n'écoute toujours pas, pourtant. Son obstination fera sûrement sa perte, un jour. Ça l'empêche pas d'être mal à l'aise, quand une part de lui ne peut pas nier que Myungsoo a raison. "Si tu le dis," qu'il souffle finalement, les yeux baissés, faute de savoir quoi répondre d'autre. Il le dit, et il a sûrement raison. Ilkyung refuse de trop y penser. S'imaginer le futur lui fait toujours un peu plus peur, quand les scénarios lui semblent tous aussi désastreux, peu importe quels choix il pourrait faire. Quitte à finir seul au quotidien, autant être admiré même d'inconnus. Et qu'importe s'il finit par s'en détester, tant que personne ne le sait. "C'est pas vrai..." Il murmure, tout en sachant très bien que le mensonge est plus gros que lui, que Myungsoo en particulier n'a aucune raison d'y croire. "Le problème c'est pas lui, c'est moi." La voix triste autant qu'amère, au fond, ça revient au même, lorsque c'est le départ du père qui a causé toutes les insécurités du fils, lui qui ravale ses larmes et tente de garder l'air impassible, sa spécialité, n'y arrive pourtant qu'à moitié quand les mots sont trop lourds. Nouveau haussement d'épaules en guise de réponse, à se dire que ça marchait bien, avant, qu'il était pas comme ça, négatif, qu'il s'aimait plus, réussissait à se rassurer. Que si ça fonctionne plus, c'est simplement qu'il a dû finir par accepter sa propre médiocrité. Idiot qui refuse d'écouter. "Non, t'as bien fait de me le dire. J'préfère le savoir maintenant, c'est mieux que de l'apprendre par hasard en tombant sur lui," il souffle, sans vouloir même imaginer la scène. "Mais j'espère que ça arrivera pas. J'veux pas le revoir. Il voulait pas de moi, j'veux pas de lui non plus." Sans savoir s'il le pense, idiot pathétique qui continuait d'espérer, au fond, d'être vu de lui, de faire naître chez le démissionnaire quelques regrets. Le coeur lourd, il frissonne malgré son manteau d'hiver. "J'vais rentrer. J'me les pèle, puis ma mère va finir par se demander où on est passés." Et surtout, il n'a plus envie d'en parler.